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Italie: une histoire urbaine en trois temps

03/11/2007 00:00

L’histoire de l’Italie, berceau de l’urbanisation européenne, commence avec les Etrusques, entre Florence et Rome. Ils fondent les premières cités 600 ans avant notre ère selon un urbanisme méticuleux, avec des maisons bâties autour d’une cour, et des nécropoles. Ils s’organisent déjà en républiques oligarchiques et transforment un groupe de villages latins insalubres et inondables en une cité, Rome, où ils inventent les égouts. Mais l’Etrurie “fédérale” s’affaiblit, elle est conquise par les Romains au 3ème siècle avant notre ère.

Selon la légende Rome aurait été fondée en -753 par Romulus, alors qu'il venait de tuer son frère jumeau Remus. Après sept rois (dont des Etrusques) elle devint une république en -509 et le demeura pendant 5 siècles. Rome prit son essor au 3ème siècle avant notre ère, contrôlant peu à peu toute l’Italie, puis détruisant Carthage, atteignant 150.000 habitants au 2ème siècle avant notre ère. Malgré des guerres civiles et de multiples conjurations cet essor était irrésistible. En paraphant Pierre Corneille on pourrait dire que Rome devint l’unique objet de l'assentiment occidental. Jules César conquiert la (Grande)-Bretagne (en -54) et la Gaule (en -52) sans effort notable. Après son assassinat le 15 mars -44 les luttes pour le pouvoir se poursuivent et l’Empire nait avec Octave qui se proclame Auguste en -27. Mais les conflits continuent avec Caligula, Britannicus, Agrippine, Néron et autres futurs héros de la tragédie classique. Seul Vespasien (69-79, le Colisée) sort du lot de la longue liste des empereurs fantasques et incompétents de ce premier siècle.

Car l’apogée de Rome se situe clairement au 2ème siècle avec les (seuls) grands empereurs : Trajan (98-117), Hadrien (117-138) et Antonin (138-161). Les deux premiers étaient nés en Espagne. Ils furent de fantastiques bâtisseurs et, ainsi qu’Antonin, de bons administrateurs. Ensuite, sous Marc Aurèle, les barbares (germains) lancèrent leurs premières attaques sur le Danube (166), annonçant le début du déclin d’un empire gigantesque devenu ingérable. Trajan promut l’urbanisation, les travaux publics, mais étendit trop loin les frontières, jusqu'au golfe arabo-persique. Rome atteignit peut-être le million d’habitants sous Trajan et Hadrien, époque de la colonne Trajan, du Mur d’Hadrien aux confins de l’Ecosse, de son mausolée et de son pont, des aqueducs, des thermes, des amphithéâtres, des temples et des basiliques. Mais au 3ème siècle l’instabilité et l’anarchie s’installent. Les Francs, les Ostrogoths, les Alamans en profitent pour harceler les troupes romaines. Sous Dioclétien (284-305) et son successeur Constantin le Grand (312-337) l’empire relève une dernière fois la tête. Constantin se convertit au christianisme en 313, il édifie Saint-Pierre de Rome et fonde sa nouvelle Rome, Constantinople, en 324-330. Il fonde aussi un nouvel empire, l’empire byzantin, « en morcelant l’Occident et en rassemblant l’Orient » (Catherine Brice) et en retournant vers la Grèce. L’empire d’Occident disparaît en 476 sous la poussée des Vandales, Saxons, Suèbes, Francs, Alamans, Burgondes, Wisigoths et autres barbares germaniques. En 540 l’empereur d’Orient, Justinien, reprend l’Italie mais Rome n’est plus alors qu’un vestige du passé. L’empire d’Occident renait en l’an 800 avec Charlemagne, il durera très longtemps, jusqu’aux Habsbourg. L’Italie n’est plus alors le centre de l’Europe et ses villes profitent de leur éloignement du pouvoir pour acquérir une grande autonomie.

 

A partir du 10ème siècle l’histoire de l’Italie, pays sans état, devient celle de ses villes. Des villes qui seront gérées comme des communes aristocratiques, avec des conseils élus, à partir du 12ème siècle. En 1165 se forme la première association de villes, la Ligue lombarde, qui regroupe toutes les villes d’Italie du Nord et qui défait Barberousse. La Ligue toscane suit en 1197. Le 13ème siècle est celui des bâtisseurs et des débuts de l’art gothique, avec par exemple le Palazzo Vecchio et le Duomo de Florence. Les républiques oligarchiques de Gênes, Venise et Florence commencent à prospérer. Une nouvelle période s’ouvre, qui atteindra son apogée au Quattrocento (15ème siècle), celle de la Rinascita (Renaissance), la deuxième période de gloire de l’Italie. Elle repose en grande partie sur le dynamisme de trois villes rivales.

 

Florence avait bâti sa prospérité à partir du 11ème siècle, autour de la laine puis d’un secteur bancaire international (le florin). Dès 1260 Florence avait les quatre ponts qui lui suffirent jusqu’en 1950. Après un 14ème siècle difficile marqué par la reconstruction définitive du Ponte Vecchio (1345) mais freiné par la peste noire (1348, récurrente jusqu’en 1417) qui emporte la moitié de la population, elle s’envole avec les Médicis, surtout avec Come – « simple marchand » et fin politicien - qui dirige la ville de 1434 à1464, et aussi avec Laurent au pouvoir de 1469 à 1492. La ville atteint 90.000 habitants, les palais privés poussent comme des champignons. L’euphorie cesse en 1530 lorsque l’empereur et le pape réconciliés prennent la ville. L’Italie devient alors espagnole.

 

Venise est une thalassocratie qui a su pendant des siècles contrôler le commerce avec l’Orient. Sa période faste dure un demi-siècle (elle est alors la ville la plus riche d’Italie) et s’achève avec la prise de Constantinople par les turcs et la chute de l’empire byzantin en 1453. Venise perd des territoires mais elle rebondit grâce à ses constructions navales et ses banques, concentrées autour du Rialto. En 1500 elle compte plus de 100.000 habitants. Le Grand Canal, « la plus belle avenue du monde », s’orne de multiples palais gothiques. Les fêtes sont grandioses. Mais la stagnation commence à la fin du 16ème siècle. L’inauguration du Ponte del Rialto (1591) symbolise en fait la fin de l’âge d’or, la fin de la Renaissance. Venise vivra désormais sur ses lauriers, gardera une certaine autonomie et perdra totalement son indépendance en 1798 avec l’invasion des troupes napoléoniennes.

 

Rome est pour sa part une ville pontificale, gérée par les papes lorsqu’ils y retournent (après la période 1309-1420). Dépeuplée (17.000 habitants), rurale et misérable au début du Quattrocento, Rome se redresse avec Martin V dès les années 1420. Ce pape remet l’urbanisme à l’ordre du jour. Nicolas V et Sixte IV embelliront ensuite la ville, entre 1447 et 1484, et lui rendront son aura perdue. Sixte IV fut un urbaniste éclairé et un grand bâtisseur. En dix ans il fit ouvrir des voies et des passages, reconstruire quarante églises, relier le Vatican à la ville, déplacer le marché central. Il construisit le premier pont moderne sur le Tibre, auquel fut donné ultérieurement son nom, le Ponte Sisto (1480 ?). Ce pont facilita l’accès au Vatican et désenclava le Trastevere. L’essor romain fut interrompu par le sac de la ville par les mercenaires à la solde de Charles Quint en 1527. Le château Saint-Ange résista mais le pillage fut systématique. L’empereur élu en 1519 à la tête du Saint Empire romain germanique s’emparait de l’Italie qui devenait espagnole. Mais le Renaissance ne s’achevait pas tout à fait : Michel-Ange vécut jusqu’en 1564 et Palladio jusqu’en 1580.

 

Le 17ème siècle sera celui de la Contre-réforme (contre le protestantisme, le calvinisme) et de son expression artistique, le baroque. Rome reprit sa place de centre de la catholicité et connut de nombreuses améliorations tant physiques qu’esthétiques. Gian Lorenzo Bernini, dit le Bernin (1598-1680) est l’artiste complet qui symbolise le mieux cette époque. Son œuvre est considérable, elle donne à Rome une partie de sa magie et influença bien d’autres pays européens.

 

L’Italie des lumières ne sera pas très brillante (lumières tamisées!) mais ses villes continueront de croitre telles Naples passant de 215.000 à 426.000 habitants entre 1700 et 1800, devant Rome qui atteindra 163.000 habitants en 1800. Si Venise et Florence stagnent et si leurs industries déclinent, leur vie culturelle demeure très active. Antonio Canal dit Canaletto (1697-1768) restitue avec précision dans ses toiles (vedute) le décor d’une Venise qui entre en lente décadence. Le néo-classicisme s’impose, simple et « harmonieux », loin de l’exubérance baroque. Les français occupent tout le pays en 1799 et en retour un sentiment national commence à émerger. La domination autrichienne suscite l’hostilité et des rébellions. Cavour crée Il Risorgimento en 1848. Venise et Florence se révoltent contre les Habsbourg. Garibaldi prend Palerme et libère la Sicile. L’Italie unitaire nait dans la douleur et Rome devient capitale en 1870 (Florence fut capitale de 1864 à 1870). Le plus dur reste à faire : il faudra attendre la défaite du fascisme pour voir le pays entrer vraiment et vigoureusement dans la modernité et le développement. Ce sera le troisième temps glorieux de l’histoire italienne, après le 2ème et le 15ème siècle, la seconde moitié du 20ème siècle. Cette période contemporaine est bien connue mais on oublie trop souvent qu’elle s’enracine dans un passé exceptionnel, celui de villes belles, fortes et fières, parfois divisées, jalouses de leur autonomie et de leur démocratie sélective, autant de traits qui caractérisent de plus en plus les villes globales du 21ème siècle, y compris celles de la péninsule italienne. Le présent a toujours besoin du passé en fonction de l’avenir.

 

Le Ponte Vecchio a donné le signal de la Renaissance en 1345 (elle fut aussitôt différée de 60 ans du fait de la peste noire), le Ponte Sisto a marqué son apogée en 1480 et le Rialto sa conclusion en 1590. Florence, Rome, Venise, les trois glorieuses de la vie urbaine italienne, ne doivent cependant pas faire oublier Gênes, Naples, Milan, Bologne, Turin et bien d’autres villes vibrantes et attachantes. L’Italie est une grappe de cités gorgées de soleil, d’énergie, de luttes sociales, de culture et surtout de siècles d’histoire.

 

  (article non publié)

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