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Le printemps des peuples arabes

11/11/2011 00:00


Dictateurs et despotes arabes tombent comme des mouches, certains s’enfuient (Ben Ali), d’autres hésitent (Moubarak), certains choisissent la mort (Kadhafi), d’autres tentent de ruser (Saleh) ou préfèrent l’aveuglement (Assad). La rue bouge de Casablanca à Manama en passant par Alger, Amman ou Bagdad. Le « printemps arabe »[1] va fêter dans la douleur et le sang son premier anniversaire.

Le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi  qui, un jour ensoleillé de décembre 2010 refusa l’oppression et donna sa vie pour la dignité,  restera à jamais l’étincelle qui mit le feu à toute la plaine.  L’heure des révolutions arabes a donc sonné. Ces révolutions multiformes donnent lieu à toutes sortes d’analyses et de pronostics hésitants sur leurs évolutions futures. Nul ne sait où elles vont mais l’on sait d’où elles viennent. L’approche structuralo-marxienne, si démodée soit-elle, peut permettre d’organiser notre compréhension.  Essayons d’en formuler les prémisses.

Révolution Culturelle

Les soulèvements en cours sont en premier lieu des révolutions culturelles, des révolutions pour le respect, la transparence, l’honnêteté, la réhabilitation de valeurs foulées aux pieds par des régimes corrompus. Des revendications pour une véritable liberté d’expression, pour le droit à la parole, contre les détentions abusives,  retentissent partout. Les arabes retrouvent leur fierté, leur soif de liberté, leur estime de soi, une authenticité dont l’occident les avait privés. Une parenthèse obscure, celle de l’oppression qui a trop souvent déçu les espoirs des indépendances, est en train de se refermer.

Révolution Economique

Souvent mises en avant, les difficultés économiques constituent le substrat matériel qui unifient les manifestations. Le chômage des jeunes arrive en tête des préoccupations, avant le pouvoir d’achat et les conditions de vie et de logement. Les frustrations des jeunes diplômés, dont la moitié ne trouvent aucun emploi à la mesure de leurs qualifications, sont certainement l’élément central des explosions  en cours. Ces diplômés qui bloguent sur internet et se contactent sur Facebook ont décidé de ne plus accepter le statu quo, de rejeter les dinosaures au pouvoir et d’explorer des voies nouvelles quel qu’en soit le risque. Ils savent qu’en ces temps de mondialisation accélérée leur avenir économique demandera de longs combats et de nouveaux sacrifices. Ils savent que la richesse de leur sous-sol continuera à attiser les convoitises et que les interférences extérieures pèseront sur leur destinée, comme elles ont influencé le printemps arabe sur les côtes libyennes.

Révolution Sociale

Les régimes arabes avaient en commun leur autoritarisme et leur capitalisme clanique, l’alliance entre un fort pouvoir militaire et de grandes familles d’entrepreneurs proches de l’état et de son chef. A la base, dans les quartiers, les « frères » aidaient le menu peuple à subsister en fournissant des services élémentaires, moyennant bien sur allégeance communautaire et adhésion aux valeurs islamiques. Entre ces deux composantes (une bourgeoisie alliant Mercédès et bérets  et un peuple appréciant dispensaires et écoles coraniques), une troisième strate avait cru en nombre et en influence, celle des intellectuels modernistes, ouverts sur le monde extérieur. L’éducation allait changer la donne, comme au printemps 1968 sous d’autres cieux. Ayant les mêmes adversaires, islamistes et modernistes saisirent ensemble l’espace public, sans réelle stratégie autre que celle du « dégage », celle de l’indignation popularisée au Nord par le pamphlet de Stéphane Hessel. C’était hier, c’est encore aujourd’hui.

Nous en sommes là, au tout début d’un processus.

Révolution Politique ?

Transformer des mouvements culturels, économiques et sociaux en révolution politique a toujours été une gageure. La révolution française a mis 82 ans pour aboutir à la 3ème république (1789-1871), la révolution russe a mis 74 ans pour finir par son autodissolution (1917-1991), la révolution chinoise a mis 43 ans pour se stabiliser (1935-1978), toutes les révolutions du tiers monde ont connu des hauts et des bas.

L’occident encourage le monde arabe à adopter son modèle de démocratie représentative, fondé sur des élections périodiques et un système majoritaire. La Tunisie s’est déjà engagée dans cette voie. Contrairement à l’opinion de Churchill[2], rien ne dit que ce soit la meilleure option.

Le système turc d’équilibre entre islam modéré et sécularisme militaire est souvent mis en avant car il semble faire ses preuves au plan économique. On sait cependant que la plupart des régimes islamistes (comme ceux  dirigés par des chrétiens-démocrates sous d’autres latitudes) mettent en œuvre des politiques néolibérales où l’argent est roi et le marché impitoyable, ce à quoi n’aspirent guère les révolutionnaires.

Les peuples arabes pourraient peut-être rechercher et retrouver dans leur histoire des modes plus démocratiques, plus participatifs et moins confrontationnels de gestion des affaires publiques, inventer les « djemaas »[3] du 21ème siècle.  La balle est donc dans le camp des intellectuels arabes. Ils peuvent et doivent proposer des innovations politiques et institutionnelles enracinées dans leur culture, leur situation économique et leurs aspirations sociales.

Comme l’a dit un jour Mao Zedong : « la révolution n’est pas un diner de gala ». Surtout quand on a faim… de pain et de liberté.

Intellectuels arabes, levez-vous, le diner attendra !

 

 


[1] Le printemps arabe fait référence au « printemps des peuples » d’Europe, grande vague démocratique de 1848, et au « printemps de Prague », qui annonçait la chute de l’empire soviétique en 1968.

[2] « La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes les autres » (1947)

[3]  assemblées villageoises traditionnelles présentes dans de nombreux pays arabes

 

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