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Les enjeux de l’urbanisation en Afrique

22/11/2010 00:00

A l'ouverture de la Conférence de Bamako je voudrais partager quelques chiffres et quelques réflexions. Je décrirai ensuite la situation actuelle avant de conclure sur les enjeux de l’urbanisation que notre réunion devrait analyser et soumettre aux Ministres Africains de l’Habitat et du Développement Urbain.

 

Comme on le sait l’urbanisation est la concentration progressive de la population dans des agglomérations (définies par leur taille et leur densité). Qu’est-ce donc qu’une agglomération (une ville) ? Pour aller vite et en rester au plan physique ou visuel, une ville ce sont des terrains, des infrastructures, des services, des emplois et des logements. Au départ les terrains sont vierges, sauvages ou agricoles. Le premier stade de l’urbanisation consiste à les équiper de routes et d’autres infrastructures. Si l’on compare au corps humain, les terrains sont la chair de la ville et les infrastructures son squelette. Le deuxième stade est celui des superstructures, lieux de travail et lieux d’habitation et de services. Les politiques urbaines doivent donc intégrer cinq composantes : foncier, infrastructures, services, emplois et logements. Nous y reviendrons.

 

Observons pour commencer les données démographiques (la démographie est comme chacun sait la « science» des populations) de notre région. Examinons quelques tableaux qui sont basés sur les statistiques les plus récentes et les plus officielles des Nations Unies (World Urbanization Prospects : the 2009 Revision). Notre second Rapport sur l’Etat des Villes Africaines, que nous lancerons demain vous en dira bien sûr beaucoup plus sur la situation.

Cliquer ci-dessous pour ouvrir le ppt.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comparées aux campagnes les villes sont des lieux de risques plus élevés (densité, pollution, autosuffisance difficile, insécurité, inégalités…)

Ce  sont aussi, dialectiquement, des lieux d’opportunités plus importantes (éducation, santé, emplois surtout, solidarités, droits…). Cela explique les migrations inexorables vers les villes, qu’aucun gouvernement n’a jamais pu enrayer et qu’il faut au contraire favoriser et organiser.

 

Les enjeux de toute politique visant à influencer positivement l’urbanisation c’est tout simplement de réduire ces risques et de tirer parti de ces opportunités.

 

Notre objectif en tant qu’experts urbains est donc de tenter d’organiser l’urbanisation de telle sorte qu’elle joue un rôle positif sur le développement économique, la réduction de la pauvreté et des inégalités, et l’environnement des pays africains, y compris de leurs zones rurales.

 

Jusqu’ici nous sommes d’accord. Mais comment faire pour organiser cette urbanisation reconnue comme plutôt chaotique ? La réponse des urbanistes que nous sommes est connue : en planifiant le développement urbain et en gérant correctement  les villes (pour le long terme il faut planifier et sur le court terme il faut gérer) !

 

Malheureusement la réponse des politiciens est parfois différente. L’urbanisation de leur point de vue semble pouvoir être largement autogérée. Pourquoi cette distance entre les experts urbains et les politiques, les fameux décideurs ? Sans doute pour des raisons de base électorale (encore à majorité rurale dans de nombreux pays) mais aussi par incompréhension des enjeux fondamentaux de l’urbanisation. Nous ne savons pas plaider efficacement la cause qui nous réunit ici ce matin. Tentons d’y voir un peu plus clair.

 

LA SITUATION

 

Selon ONU-HABITAT près d’un milliard d’êtres humains s’entassent dans les quartiers informels, irréguliers, non planifiés, des villes du Sud.  La population des bidonvilles s’accroit de 25 millions par an, soit 70.000 personnes supplémentaires par jour.  Le phénomène est particulièrement préoccupant dans deux régions : l’Afrique sub-saharienne et l’Asie du Sud. L’Afrique sub-saharienne compte aujourd’hui 304 millions d’urbains dont les deux tiers vivent dans des quartiers spontanés ou irréguliers. En terme de pourcentage elle détient le record du monde.

 

L’urbanisation de la pauvreté résulte de la conjugaison de trois facteurs : l’urbanisation rapide des pays du tiers monde, le manque d’emplois urbains décents et les insuffisances de la planification et de la gestion des villes.  Le premier facteur peut être résumé en quelques chiffres globaux : la population urbaine des pays en développement est passée de 680 millions en 1970 à 1450 millions en 1990 et à 2.6 milliards aujourd’hui.  Elle atteindra 3.9 milliards en 2030.  Cette croissance, potentiellement positive car elle contribue à réduire la surpopulation rurale, n’a pas été accompagnée par un développement économique suffisant, notamment en Afrique, pour générer les emplois et les revenus espérés.  Dans de nombreux pays elle a été mal gérée du fait de l’absence de volonté politique et de mauvais choix techniques.  La coopération internationale s’est concentrée sur le développement rural, sans impact positif notable.  Récemment la pauvreté urbaine a commencé à diminuer en Asie de l’Est et en Amérique Latine, mais les inégalités entre les pauvres et les riches se sont creusées.  Les villes du Sud deviennent de plus en plus divisées entre quartiers sous-équipés et quartiers résidentiels.  Fractures sociales et spatiales se renforcent mutuellement.

 

Comment définit-on la pauvreté urbaine ?  Par deux éléments.  Le premier, cher aux institutions financières, est la pauvreté monétaire.  Les pauvres sont ceux dont le revenu journalier ne dépasse pas un dollar (pauvreté dite absolue, notamment en milieu rural) ou deux dollars (somme plus ou moins équivalente, en milieu urbain monétarisé, à un dollar en milieu rural où l’autoproduction alimentaire est possible), voire un Euro, parce qu’ils n’ont pas accès à un emploi décent.  Bien sûr le pouvoir d’achat de ces dollars n’est pas le même dans tous les pays et dans toutes les régions et zones d’un même pays.  Il s’agit donc d’une estimation peu scientifique mais facile à appréhender.  Le second élément concerne les aspects non-monétaires de la pauvreté, c’est-à-dire essentiellement les difficultés d’accès aux terrains, aux services essentiels et aux logements.  Ce second élément (appelé pauvreté humaine par le PNUD) se reflète dans la bidonvilisation d’un grand nombre d’agglomérations, de Lagos à Kinshasa et de Conakry à Niamey. 

 

LES QUATRE ENJEUX DE L’URBANISATION

 

Venons-en au cœur de notre sujet. Quels sont les enjeux fondamentaux de l’urbanisation en Afrique ? D’abord de contribuer à la croissance économique, ce qui passe par une priorité indiscutable à accorder aux infrastructures comme le démontre l’expérience asiatique (Chine, Corée, Indonésie, Malaisie, Thaïlande, etc.). On doit noter à ce propos la corrélation directe entre taux d’urbanisation et PNB per capita. Cette croissance économique est synonyme d’emplois décents et productifs. Je ne m’attarderai pourtant pas sur la croissance, premier pilier du développement durable, tant elle relève de l’évidence. Elle dépend de la qualité et de la pertinence des infrastructures de transport et de communication. Elle constitue une condition nécessaire (mais non suffisante) du développement social.  Celui-ci passe pour sa part par un accès généralisé aux services essentiels : santé de base, éducation primaire, eau potable, assainissement, transports publics, sécurité.  L’effort  des gouvernements centraux et locaux devrait s’accroître très fortement dans ces domaines.  Cela implique des actions à trois niveaux complémentaires : politique, financier et managérial. 

 

Au plan politique, les Lignes Directrices sur l’accès aux  services essentiels, élaborées sous l’égide d’ONU-HABITAT, fournissent les cinq directions à suivre : (i) promouvoir une gouvernance urbaine participative ; (ii) décentraliser les responsabilités publiques; (iii)  développer les partenariats entre autorités locales et fournisseurs de services ; (iv) assurer des financements viables et des tarifs favorables aux pauvres ; et (v) gérer l’impact sur l’environnement.  Adoptées unanimement par le Conseil d’Administration d’ONU-HABITAT en 2009 ces Lignes Directrices seront accompagnées par des outils pédagogiques et des programmes de formation dans les pays intéressés.

 

Au plan financier les gouvernements et la coopération internationale – l’aide publique au développement – doivent viser à compléter et à mobiliser les ressources locales en injectant des capitaux dans les secteurs stratégiques.  Comme on le sait la plupart des institutions financières internationales mettent l’accent sur l’eau et les transports.  Dans tous les cas il importe que ces investissements n’oublient pas d’encourager les péréquations au bénéfice des populations défavorisées.

 

Au plan managérial il est clair que de nombreuses villes africaines demeurent mal gérées et que le potentiel de progrès dans la gestion des services est considérable, tant pour les services marchands comme l’approvisionnement en eau et les transports publics que pour les services non marchands comme la sécurité et la santé.  La coopération technique peut jouer un rôle d’appui pour développer les capacités municipales, rationaliser la fourniture des services et améliorer l’efficacité urbaine.  Elle reste malheureusement insuffisante et se limite souvent à promouvoir l’échange de « bonnes pratiques » au lieu de s’inscrire dans la durée. Les partenaires au développement doivent réinvestir ce secteur, notamment pour aider à l’amélioration des infrastructures primaires. A l’heure où la crise alimentaire mondiale affecte en premier lieu l’Afrique sub-saharienne, l’appui à la réalisation et à la modernisation des infrastructures reliant les villes petites et moyennes à leur hinterland agricole (les villes-marchés) ainsi qu’à celles mettant les villes en réseau, y compris par delà les frontières, devrait devenir une priorité économique et sociale pour tous les états de la région.

 

Après l’emploi et les services essentiels le troisième enjeu majeur est d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies urbaines réalistes.  L’impact d’une telle action n’est pas immédiat mais à moyen et long termes.  En fait la majorité des villes africaines ne disposent pas de plans de développement urbain.  Les plans directeurs existants, souvent obsolètes ou irréalistes, sont ignorés par les décideurs.  Depuis les années 1980 la critique des plans d’urbanisme est donc devenue un lieu commun dans les conférences internationales. 

 

ONU-HABITAT et ses partenaires de l’Alliance des Villes tentent depuis quelques années de promouvoir des « City Development Strategies » (CDS) qui combinent vision à long terme et actions à court terme, qui articulent planification spatiale et investissements, et qui mobilisent tous les acteurs concernés.  Cette approche, adoptée par nombre de villes européennes, peine à trouver sa voie dans les pays moins avancés dont les autorités publiques n’ont guère d’influence sur les investissements privés.  A moins de considérer que les villes africaines ne peuvent croître que de façon chaotique, un énorme effort de coopération est donc nécessaire pour allier la préparation et la mise en œuvre de stratégies urbaines au renforcement de la gouvernance et des capacités locales.  L’amélioration et la prévention des bidonvilles devraient trouver toute leur place dans ces stratégies dont les objectifs fondamentaux sont ceux du développement  durable : croissance économique, réduction de la pauvreté et des inégalités, préservation de l’environnement. C’est un sujet qui prend de plus en plus d’importance avec le débat mondial sur le changement climatique et du fait de la hausse prévisible des prix de l’énergie.

 

Par ailleurs le renforcement des capacités locales doit aller de pair avec une décentralisation progressive des responsabilités et des moyens financiers en direction des autorités municipales.  Le Conseil d’Administration d’ONU-HABITAT a adopté en 2007 des orientations très claires sur la décentralisation, qui pourraient guider les réformes législatives nécessaires dans les pays africains. Un aspect essentiel de la décentralisation concerne les finances municipales qui doivent être à la hauteur des ambitions proclamées. Il est parfaitement possible et nécessaire pour les villes africaines d’accroitre leurs revenus, en améliorant l’assiette et le recouvrement des taxes foncières, et de mieux les utiliser pour s’équiper en infrastructures. Les villes sont productrices de richesses, donc elles peuvent et doivent taxer ces richesses pour le bien public. La taxation des propriétés doit faire l’objet de toute votre attention.

 

Le quatrième enjeu de l’urbanisation est d’aider les populations pauvres à mieux se loger, c’est-à-dire à accéder plus facilement aux terrains et aux financements indispensables à la construction d’un habitat décent.  Depuis les opérations de parcelles assainies des années 1970-80 les problématiques n’ont guère évolué dans ce domaine. Le logement locatif informel (qui concerne des dizaines de millions de personnes) demeure absent des préoccupations tandis que les recettes visant à transformer les pauvres en petits propriétaires manquent de sérieux  et de crédibilité.  L’appui au développement progressif de l’habitat par le biais du microcrédit demande à être davantage soutenu, de même que les systèmes collectifs d’épargne et crédit. Cela n’implique pas nécessairement la création de banques spécialisées mais plutôt l’utilisation et l’adaptation des institutions existantes. La production massive de terrains sommairement équipés, avec recouvrement des coûts par les municipalités, devrait aussi être encouragée.  A ce jour les conditions de vie ne s’améliorent que lorsque les revenus augmentent, tandis que l’impact ou l’effet de levier des politiques de l’habitat reste marginal. ONU-HABITAT a suggéré de relancer les réflexions dans ce secteur délaissé du financement du logement populaire.  Cela demande à nouveau d’associer coopération technique et assistance en capital, c’est-à-dire dialogue politique et incitations financières.  En outre les coopérations bilatérales et les ONG pourraient jouer un plus grand rôle pour appuyer les communautés défavorisées, comme elles le font avec succès dans les situations post-catastrophe.

 

Pour conclure résumons-nous. Selon nous le premier enjeu est d’investir ou non dans les infrastructures pour dynamiser l’emploi. Le second enjeu est d’assurer ou non l’accès aux services essentiels. Le troisième enjeu est de planifier et de gérer ou non la croissance urbaine, notamment l’accès aux terrains. Le quatrième et dernier enjeu est d’encourager ou non une autoproduction massive de logements populaires. Ces enjeux sont autant de défis que notre rencontre devrait s’efforcer d’analyser et de préciser, en tenant compte de la grande diversité de notre continent.

 


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