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Les plaies de la langue

Béquilles verbales, mots fourre-tout, et autres plaies

Les parasites linguistiques prospèrent dans les médias. De nombreux mots inutiles viennent soutenir les propos des intervenants, y compris des plus qualifiés, comme autant de petites béquilles, de points d’appui qui permettent de reprendre pied, qui viennent combler les vides, les blancs, qui aident à rebondir quand on patine sur une expression confuse.

En fait il existe plusieurs catégories d’altération ou d’évolution de la langue française : les béquilles verbales proprement dites, les mots fourre-tout et les expressions à la mode. Cela s’applique d’ailleurs à bien d’autres langues, par exemple à l’anglais. Il semble qu’en outre les fautes de syntaxe tendent à s’accroitre dans tous les groupes sociaux, parfois volontairement.

Les béquilles verbales comprennent à la fois des mots totalement inutiles, notamment les onomatopées (euh, hein) abondamment utilisées par les plus grands experts, les mots de substitution (les affirmatifs : « Bien évidemment », « Tout à fait » ou « Absolument » au lieu du « Oui » trop direct ;  l’horrible : « Ou encore » pour la conjonction « Et » trop banale ; le cinglant « Pas du tout » pour le simple « Non », le francophone « En tous cas » comme virgule essentielle) et les mots d’annonce (« J’veux dire, j’allais dire, je dirais, j’ai envie de dire, on va dire », etc.) ou de triviale conclusion (l’omniprésent « Voilà ! »)

Les mots fourre-tout pour leur part renvoient à des concepts flous, polysémiques, et fournissent des raccourcis qui évitent de préciser sa pensée (« les territoires, les quartiers, les bobos, les usagers, notre famille politique, le changement, changer de logiciel, la transparence »). Ils sont souvent accompagnés d’euphémismes atténuant des propos dont on n’est pas trop convaincu (« un p’tit peu », « c’est compliqué », « porter ou accompagner un projet » au lieu de le mener, « je reviens vers vous » au lieu de je vous rappelle). Certains politiciens abusent de cette terminologie ambigüe.

Les termes et expressions fugaces, à la mode, apparaissent et disparaissent quant à eux de façon inattendue, insidieuse. Ils durent souvent une décennie, parfois un peu plus, avant de s’évanouir lentement. Ce sont des marqueurs socio-culturels, parfois argotiques, irritants par leurs excessives répétitions mais auxquels « au final » on s’habitue. Citons-en quelques-uns : « A la base », « Quelque part », « Je gère », « Ca me saoule », « Pas de souci », « C’est nickel »  « Point barre » « Droit dans le mur », « Droit dans ses bottes », « Que du bonheur », « C’est énorme », « Ca va le faire », « Ca m’a bluffé », « Mais pas que ». Parmi eux les anglicismes verbaux occupent une place croissante : booster, impacter, customiser, zapper, flasher, faire sens.... Nous pourrions aussi inclure dans cette catégorie l’inventif verlan des ados (qui kiffent grave leur meuf, même lorsqu’elle est chelou), une sous-culture de la différenciation issue des banlieues et des collèges. Innovante et chébran.

Nous devons enfin mentionner certaines fautes de grammaire qui écorchent les oreilles. Tels les redoublements de sujet abusifs : « Le Président, il a décidé… ». Les singuliers inappropriés : « C’est les voitures » au lieu de « Ce sont les voitures ». Les fréquentissimes : « Qu’est-ce qu’il se passe » au lieu de « Qu’est-ce qui se passe ». Les acceptables : « On » au lieu de « Nous ». Le classique : « Monter sur Paris » au lieu d’ « aller à Paris ». Sans oublier le langage télégraphique des textos et des émoticônes, en lui-même un beau sujet de thèse.

La croissance des béquilles verbales et des mots fourre-tout révèle un certain malaise de notre société fébrile et un besoin craintif d’autoprotection. Ils appauvrissent non seulement le vocabulaire et la communication, mais aussi la pensée et l’agilité intellectuelle. Pour les éviter écoutons nos propres paroles, relisons nos écrits et critiquons-nous nous-mêmes. Sachant qu’ « il n’y a pas le feu au lac ».

 

L'Occitanie, terre rebelle

Identité Occitane

Je suis devenu français en 1271, près de sept siècles avant ma naissance sur les berges de la Garonne. Cette année-là le comté de Toulouse fut rattaché à la couronne de France et perdit pour toujours son indépendance politique.

L’Occitanie, pays de la langue d’Oc, avait abdiqué dès 1229 lorsque Raymond VII, comte de Toulouse, prêta serment de soumission à l’Eglise et au jeune roi Louis IX, futur Saint Louis. L’Inquisition avait pris le relais à partir de 1233 et était promise à un bel avenir international, tandis que Montségur, dernier bastion rebelle, résista jusqu’en 1244.

La « Croisade contre les Albigeois » avait été proclamée par le pape Innocent III en 1209. Ce fut la seule croisade en terre chrétienne[1], une croisade contre les hérétiques « cathares » qui voulaient réformer l’Eglise catholique. Cette croisade de 20 ans fut marquée par de terribles massacres et par une alliance entre la papauté et la couronne de France. Ce fut à la fois un conflit religieux et une guerre coloniale, comparable aux vaines croisades menées à la même époque en Terre sainte contre les musulmans. Au plan théologique, les hérétiques auraient opposé un principe du mal matériel ici-bas à un principe du bien purement spirituel dans l’au-delà, grande affaire inacceptable par la papauté! Les cathares dénonçaient surtout l’opulence et la corruption de l’Eglise; ils furent en quelque sorte les précurseurs de Martin Luther et de Jean Calvin, les annonciateurs du protestantisme qui allait apparaître trois siècles plus tard et s’installer durablement dans une grande partie de l’Europe occidentale.

En juillet 1209 l’abbé de Cîteaux, Arnaud Amaury, légat pontifical et organisateur de la croisade, lança ses troupes, encadrées par des centaines de chevaliers du nord, sur la ville de Béziers. Amaury est resté célèbre pour son ordre : « Tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens ! ». En effet tous les habitants de la ville furent exterminés en une seule journée. Dans son rapport au pape, Amaury estime que 20000 personnes ont été massacrées « en une merveilleuse vengeance divine ». Le mois suivant Carcassonne subit le même sort. Simon de Montfort prit la tête des croisés, semant la mort dans de nombreux villages et s’emparant des terres conquises. Mais ses soldats échoueront devant Toulouse en 1211. Ils assiègeront la capitale occitane à plusieurs reprises - Simon de Montfort y trouvera la mort en 1218 -, jusqu’à la reddition en 1229 de l’héroïque Raymond VII qui marquera la fin d’une guerre d’usure ayant ravagé le Languedoc (essentiellement le triangle Albi-Carcassonne-Toulouse) pendant deux décennies.

Toulouse, haut lieu de la culture européenne au Moyen-Age, est devenue française dans les larmes et le sang au terme d’une alliance entre le sabre monarchique et le goupillon papal qui en préfigura beaucoup d’autres. Les villes occitanes maintiendront leur identité socioculturelle, leur langue, leurs modes de vie communautaires, mais elles auront perdu leur autonomie politique et leurs relations avec la Catalogne et l’Aragon se trouveront affaiblies. Plus à l’ouest, le duché d’Aquitaine restera sous tutelle anglaise durant trois siècles (1151-1451), ce qui contribuera à favoriser son développement économique. Bordeaux pourra ainsi disputer à Toulouse le leadership de la France du sud-ouest. La Bretagne pour sa part ne deviendra française qu’en 1532, sous François Iᵉʳ. La France atteindra alors quasiment ses limites actuelles mais les guerres de religion y éclateront à nouveau, entre catholiques et protestants, à partir de 1562. Elles dureront trente ans. Certains huguenots (i.e. calvinistes) du midi étaient probablement des descendants de cathares. La rébellion a toujours fait partie de l’identité occitane.



[1] A l’appel des papes, neuf croisades en Palestine eurent lieu aux XIIº et XIIIº siècles pour « libérer les Lieux saints». Elles connurent des échecs répétés. Au retour de la huitième croisade, Louis IX mourut à Tunis en 1270 et Jeanne de Toulouse, fille de Raymond VII, à Sienne en 1271. Les croisés obtenaient du pape la rémission de leurs péchés et la garantie d’un salut éternel.